AVIS EXPRESS #025 : Les petites distances (CAZOT et BENYAMINA) - Pilu des Bois (NGUYEN) - Les vermeilles (JOURDY) - Chroniques de l'île perdue (CLEMENT et MONTEL)
Les petites distances de Véronique CAZOT et Camille BENYAMINA
Éditions Casterman – 2018 – 152 pages – 22 €
Bande dessinée | Contemporain | Famille | Romance
Avertissement : [scènes à caractère sexuel, thème et traumatisme autour du cambriolage]
Max est un homme tellement insignifiant qu’il finit par devenir vraiment invisible. Léo est une femme peureuse qui vit dans ses rêves. Max s’installe chez Léo et observe sa vie.
Depuis sa sortie et les bons échos qui ont suivi, j’avais très envie de découvrir cette bande dessinée, chose faite cette année en l’empruntant à ma médiathèque. Je suis contente d’avoir pu la BD même si je ressors de cette expérience à mi-chemin entre la perplexité et la déception.
L’histoire nous parle de deux personnages que rien semble rapprocher si ce n’est un aspect fantastique. En effet, Max a fini par devenir invisible et s’installe chez Léo, cette dernière est traumatisée par un récent événement et préfère ses rêves à la réalité. Max va donc assister au quotidien de Léo sans jamais l’impacter, ou presque. Le pitch de base est génial, parce que les deux personnages le sont, pour des raisons différentes et surtout pour leur quête respective.
En effet, Max va chercher à tout prix à comprendre ce qui lui arrive, ce qui s’est passé et va ainsi remonter à l’origine de toute cette histoire à travers ses parents. Tandis que Léo a pour objectif l’envie de se reconstruire après un traumatisme et espère reprendre confiance en elle, en les autres et pourquoi pas, trouver l’amour. Les deux histoires sur les personnages sont passionnantes, mais j’ai trouvé que l’intrigue globale manquait de clarté et de finesse.
J’ai pas eu toutes les explications nécessaires pour comprendre l’histoire, j’ai pas réussi à saisir le message in fine, le pourquoi cette bande dessinée est là. Parce que je sens qu’il y avait quelque chose, un truc à dire, à partager, mais les propos et certains développements se retrouvent noyés par des instants peu ou pas intéressants. Mon attention a donc été en dents de scie en permanence, comme une voiture qui ne démarre pas et qui crache ce qu’elle peut pour mettre le moteur en route, le récit se perd dans des passages dont j’ai pas compris l’intérêt par rapport à des éléments qui eux, méritaient plus de soin.
La bande dessinée présente des thématiques très captivantes : l’estime de soi et la confiance en soi, l’amour et l’amitié, la famille, la sexualité, la vie professionnelle. Et même si tout n’a pas été développé avec élégance ou précision, les thèmes ont le mérite de poser des questions, de soulever des débats, de s’interroger. Le tout avec des personnages principaux, un couple principal très humains et attachants. L’histoire a surtout un bel écrin avec les illustrations chargées en émotions par des compositions très intéressantes et des couleurs douces.
En plus des couacs soulignés, j’ai beaucoup à redire sur certains éléments qui m’ont mis mal à l’aise durant la lecture. Au début, j’ai pas capté – parce que le pitch de la bande dessinée expliquait que Max observe Léo et s’installe chez elle. Toutefois, quelque chose n’allait pas et j’arrivais pas à mettre le doigt dessus. Excepté quelques détails qui n’ont pas été suffisamment explicites, je ne sais toujours pas si Léo se doute du fait que Max vive chez elle ou si elle n’en a aucune idée et par conséquent, vous devez déjà voir les problèmes arriver. Parce que Léo a sa vie sexuelle, en solo ou avec d’autres hommes. Parce qu’elle va se laver, parce qu’elle s’habille ou pas, mais elle vit chez elle, seule et peinarde. Or, là, il y a Max. Qui la regarde. Comme il va profiter de son invisibilité pour aller regarder ce qui se passe chez les voisins, dans le quartier. Et il regarde tous ces couples, et il lui arrive de tenir des propos limites, comme il lui arrive de faire des choses limites. Du coup, je suis restée très gênée devant le voyeurisme et le non-consentement qui ne sont ni l’un ni l’autre questionné ou remis en question.
Bref, je le répète, mais les illustrations sont très belles, Max et Léo sont très intéressants, les thématiques sont elles aussi passionnantes. Mais le manque de finesse, d’élégance, de maturité et de développement rend cette bande dessinée bancale et inachevée pour ma part, voire dérangeante sur certains plans. Alors peut-être que l’idée de base était justement d’interpeller, de parler de sujets tabous, d’être percutant, mais beaucoup de chose sont donc maladroites et le final tombe à plat.
Pilu des Bois de Mai K. NGUYEN
Éditions Kinaye (Graphic Kids) – 2021 – 160 pages – 17 €90
Bande dessinée | Fantastique | Anxiété | Deuil | Emotions |Environnement
Avertissement : [thème du deuil, de l’anxiété et de la colère]
Willow adore la forêt qui se trouve près de chez elle. Elle est calme et paisible, si différente de ses propres émotions tumultueuses, qu’elle garde enfouies tout au fond d’elle. Un jour, lorsque ses émotions la submergent, elle décide de s’enfuir dans les bois. Là, elle rencontre Pilu, une fée des bois égarée, qui n’arrive pas à retrouver le chemin de sa maison… qui s’avère être le bosquet de magnolias où la maman de Willow avait pour habitude de l’emmener.
J’ai passé un excellent moment avec cette bande dessinée jeunesse, c’est une très belle ode aux émotions et à la nature, à la douceur et à l’apaisement. J’ai adoré le travail de Mai K. Nguyen que ce soit sur le texte ou sur les illustrations.
L’histoire nous transporte dans la vie de la jeune Willow passionnée par la nature, notamment la forêt près de chez elle qui lui apporte un réconfort et quiétude contrastant avec ses émotions internes. J’ai me suis attachée au fil du récit à Willow, à ses problèmes, son anxiété et sa colère, son passé et son évolution, elle est touchante et sympathique.
L’amitié qu’elle tisse avec Pilu est également forte et tendre, j’ai apprécié les nombreuses découvertes des deux fillettes à travers la forêt, les végétaux, les animaux, l’environnement a une place capitale dans ce récit. Tout comme Willow, Pilu a ses soucis à régler, elle doit composer avec la solitude et ses émotions dévastatrices, une famille complexe.
Les émotions sont très fortes dans ce récit et les thèmes abordés loin d’être faciles sont traités avec justesse, avec finesse et élégance. Cette petite pointe de fantastique m’a totalement séduite, me rappelant les films Ghibli dont je suis très fan comme Souvenirs de Marnie, Si tu tends l’oreille, par exemple. Le texte se lit tout seul, l’autrice manie habilement les mots, leur insufflant force et poésie.
Quant aux illustrations, elles sont ravissantes, je suis absolument fan du rendu globale, car les planches sont agréables à regarder. Et chaque case est superbe, le trait est fin, les formes sont épurées, le design des personnages est trop chou, les décors sont beaux et les couleurs sont splendides. C’est coloré sans être criard, la palette donne des tons chauds, des marrons et de verts pour marquer l’aspect naturel de l’ensemble. Et je suis conquise par le design des petits monstres venus traduire l’anxiété et la colère de Willow, ils me rappellent ces formes qui suivent Bea dans Lightfall, une très bonne trouvaille en somme.
Les vermeilles de Camille JOURDY
Éditions Actes Sud (BD) – 2019 – 155 pages – 21 €50
Bande dessinée | Fantastique | Aventure | Enfance
Beau temps pour un pique-nique ! Pas pour Jo, la cadette, qui fuit sa famille recomposée le temps de se perdre dans une forêt mystérieuse, loufoque et pleine de vermeilles. Camille Jourdy offre aux jeunes lecteurs un récit initiatique de haute voltige.
Le titre, les couleurs de cette couverture et le résumé m’intriguaient beaucoup, d’autant plus que cette BD est cité dans un livre « Tout sur la littérature jeunesse » de Sophie van der Linden (Gallimard Jeunesse), donc j’avais super hâte de découvrir cette histoire. J’en ressors mitigée, cependant, ce livre a pas d’éléments intéressants pour en séduire plus d’un.
Je trouve que l’histoire possède un esprit proche d’Alice au pays des merveilles et Le voyage de Chihiro. Parce que la petite Jo traverse un point de passage vers un monde fantasque, pétillant et loufoque, coloré et passionnant à comprendre. Cette bande dessinée est par ailleurs une très chouette ode à l’imaginaire, à la littérature jeunesse, à l’enfance plus globalement. C’est un récit initiatique à travers lequel Jo va s’apaiser, notamment dans ses relations avec sa famille.
Passé ça, j’ai trouvé le tout confus, flou – j’ai eu énormément de mal à me plonger dedans et rester attentive au récit. Je ne sais toujours rien des personnages que Jo rencontre, je ne sais rien de l’univers dans lequel elle va baigner, c’est compliqué de s’attacher aux personnages, même si certains sont trop mignons et d’autres très drôles, je pense aux compagnons de route de Jo notamment. Les vermeilles sont de très bonnes trouvailles. Le texte est super sympathique à lire, j’aime beaucoup la petite pointe d’humour utilisée, les répliques qui sont bien pensées et qui font mouche, c’est sensible et charmant.
J’ai beaucoup aimé les couleurs employées par Camille Jourdy qui a un style graphique bien à elle, d’ordinaire, je ne suis pas une adepte de ce style, mais ici, je trouvais que ça renforçait cet aspect aventure décalée et joyeuse, fantastique et merveilleuse. C’est très doux et délicat, c’est même apaisant à regarder. J’ai eu plus de mal avec la typographie sélectionnée pour les bulles, mais ce n’est pas la première fois que je peine à lire une bande dessinée avec du texte écrit à la main – donc je pense que ça vient de moi et de mes goûts personnels.
Chroniques de l’île perdue de Loïc CLEMENT et Anne MONTEL
Éditions Soleil (Métamorphoses) – 2018 – 110 pages – 19 €
Bande dessinées | Jeunesse | Naufrage | Peurs | Famille
Avertissement : [histoire traitant de problèmes familiaux entre frères, thème des peurs et traumatismes de l’enfance, violences psychologiques – verbales et physiques, présence de sang et de morts]
Sacha et Charlie sont en croisière avec leurs parents. Mais lors d’une terrible tempête, le bateau sombre et ils échouent sur le rivage. A la recherche de son petit frère, Sacha lutte contre de mystérieuses entités. Charlie, de son côté, rencontre une jeune fille qui le prend sous sa protection.
La couverture, son titre et le duo Clément/Montel, il ne m’en a pas fallu plus pour tenter l’aventure avec cette bande dessinée, en l’empruntant à la médiathèque – alors que je cherchais un autre ouvrage à la base. J’en ressors mi-figue mi-raisin, j’ai pris mon temps avant de rédiger cet avis, parce que j’avais besoin d’une seconde lecture et de mieux cerner certains points.
L’univers de cette île perdue est très intéressant, ce peuple de doudou absolument trop trognon a été infecté par un mal inconnu. Tout ce qui semblait paisible et bon se voit vicié, dangereux et flippant à souhait. Je trouve que le monde était fantastique à voir, à comprendre, j’aurais aimé qu’il soit développé de manière moins brouillonne – comme je l’ai précisé en intro, j’ai dû relire une ou deux fois certains passages pour percer quelques détails et trouver le sous-texte.
Parce que oui, toute la bande dessinée joue sur un effet crypté et sur le fantastique. Nous avons donc des éléments et des codes de l’horreur qui viennent se mêler aux codes du rêve, du surréalisme, de l’inconscient. Je me suis souvent demandé si tout était réel ou non, si les personnages principaux, ces deux frères sont humains et prennent l’apparence de chats pour ne pas heurter le lectorat jeunesse ou si nous étions dans un monde où humains et animaux se côtoient. Bref, on voyage réellement dans une dimension très floue, et ça le sera certainement pour beaucoup.
C’est là que j’aurais aimé que cet aspect soit mieux contrôlé et cadré, j’avais des informations de partout, le fait d’avoir plusieurs niveaux de lectures, d’avoir ces détails, d’avoir ces thématiques reliées aux peurs des enfants : le noir, l’abandon, les monstres, le vide, l’isolement… Tout est super intéressant, tout est fascinant, mais tout s’enchaîne un peu rapidement, tout part dans tous les sens et je me suis sentie plus d’une fois paumée durant ma lecture. J’ai trop de questions et pas assez de réponses, comme la fin qui est trop ouverte selon moi.
J’ai manqué de finesse pour saisir les enjeux, en revanche, les thèmes sont bien exploités et reliés à l’univers, l’intrigue est captivante. J’ai aimé cette portée philosophique sur les peurs et les angoisses que l’on peut avoir enfant, sur le relationnel entre grand et petit frère. J’aime aussi le fait que l’on s’interroge sur la toxicité des fratries et les conséquences à court et long terme pour les victimes. Il y a là des messages qui se doivent d’être entendue. En revanche, le côté brouillon et cryptique rend le tout trop flou.
J’ai bien aimé les personnages présentés dans la bande dessinée, mais il m’a manqué un peu de matière pour m’y attacher pleinement. Comme on est toujours dans l’action et la tension, j’ai pas eu la longitude pour apprécier les protagonistes, j’aurais aimé des pauses pour mieux digérer les éléments. Cependant, Charlie et Sacha sont touchants, j’ai apprécié les suivre en solo ou en duo.
L’écriture est très chouette et les illustrations sont super jolies, les planches sont super agréable à lire. La portée onirique et poétique est parfaite pour ce récit, mais même dans les mots ou les images, il y a une épine dans le pied, un truc qui rend le tout abscons, un aspect sombre et angoissant, poisseux et perturbant. Au vu de l’histoire, je suppose que cette atmosphère était clairement recherchée, mais je préfère prévenir que la bande dessinée ne sera pas faite pour toutes et tous.
Ce qui m’intrigue le plus, c’est le fait qu’elle soit rangée en littérature jeunesse ou destinée aux enfants, parce que très clairement, je me demande combien d’enfants liront cette BD et seront en mesure de la comprendre. Je suis donc perplexe au sujet de cette bande dessinée.
4 comments
Coucou Ewylyn, comment vas tu ? 🙂 Tu as raison, les illustrations pour Les petites distances sont vraiment belles. J'aime particulièrement l'allure de Léo dans la planche que tu partages, son visage clair et sa chevelure flamboyante. Par contre, gros carton rouge pour le côté voyeurisme, je suis vraiment d'accord avec toi. C'est presque bizarre d'inclure ce genre de comportement malsain, avec ce personnage qui regarde l'intimité des autres. Dommage, les idées et les sujets étaient pourtant intéressants.
RépondreSupprimerY'a des gens qui ont adoré cette planche, d'autres ont soulevé les mêmes choses que moi, après, je suppose que c'est une question de point de vue ^^ Certains n'ont pas vu un aspect voyeuriste et malsain. Mais c'est vrai que la BD soulève des thématiques intéressantes, qu'elle deux bons personnages en plus de ça.
SupprimerDommage pour Les petites distances. L'idée de l'histoire et les illustrations me plaisent bien, mais les bémols que tu soulignes (notamment le voyeurisme et le non-consentement) me dérangent clairement. Au contraire de Chroniques de l’île perdue, qui me tente beaucoup malgré les bémols que tu évoques. Il faut dire que j'aime beaucoup le duo aussi. Du coup, curieuse de découvrir cette BD moins jeunesse qu'elle en a l'air...
RépondreSupprimerJe te souhaite une belle découverte avec Chroniques de l'île perdue, si je n'ai pas passé un bon moment avec, je reste très curieuse de découvrir les autres livres de ce duo, j'en avais adoré d'autres =) Pour les Petites distances, ça va dépendre de ta sensibilité et comment tu vois les choses, y'a des bons retours, même encore aujourd'hui. Donc à toi de voir =)
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