La Horde du Contrevent (DAMASIO)

by - 15.7.20



La Horde du contrevent d’Alain DAMASIO (one-shot)
Folio (collection Folio SF) – 2015 (première édition en 2004) – 703 pages
Expédition | Vent | Voyage | Science-Fiction



Imaginez une Terre poncée, avec en son centre une bande de cinq mille kilomètres de large et sur ses franges un miroir de glace à peine rayable, inhabité. Imaginez qu’un vent féroce en rince la surface. Que les villages qui s’y sont accrochés, avec leurs maisons en goutte d’eau, les chars à voile qui la strient, les airpailleurs debout en plein flot, tous résistent. Imaginez qu’en Extrême-Aval ait été formé un bloc d’élite d’une vingtaine d’enfants aptes à remonter au cran, rafale en gueules, leur vie durant, le vent jusqu’à sa source, à ce jour jamais atteinte : l’Extrême-Amont. Mon nom est Sov Strochnis, scribe. Mon nom est Caracole le troubadour et Oroshi Melicerte, aéromaître. Je m’appelle aussi Golgoth, traceur de la Horde, Arval l’éclaireur et parfois même Larco lorsque je braconne l’azur à la cage volante. Ensemble, nous formons la Horde du Contrevent. Il en a existé trente-trois en huit siècles, toutes infructueuses. Je vous parle au nom de la trente-quatrième : sans doute l’ultime.






Un texte vraiment fort. C’est certainement l’un de mes plus gros coups de coeur pour cette année 2020, je reste totalement éblouie par le travail abattu par l’auteur pour narrer cette expédition de science-fiction qui possède tellement d’éléments incroyables que les citer ici ne rendrait pas hommage à la puissance de ce roman. J’étais impatiente de découvrir ce roman qui est considéré comme un classique de la SF depuis ma lecture du premier tome de la bande dessinée. Je suis désormais en mesure de comprendre que la BD prend un autre chemin par rapport au roman, ce qui me donne davantage envie de lire le deuxième tome. Attention, même si la BD prend un scénario très particulier, l’histoire qui y est développée s’ancre parfaitement dans l’univers de la Horde, reprenant les personnages et les notions. Cela reste une excellente adaptation ainsi qu’un très bon pied dans le monde de la 34e Horde.

Ce roman est atypique. Il mêle plusieurs genres, différentes ambiances, c’était plutôt impressionnant tant c’était super bien maîtrisé, prenant et très bien mené. L’édition que j’ai choisie possède une illustration qui correspond super bien à l’histoire, avec un marque-page super bien pensé tant il est pratique. Ce roman est présenté sous forme de chapitres au sein desquels vous allez avoir plusieurs personnages venant narrer des événements, vous exposer des faits et des révélations, vous plonger au coeur de l’action. Cette Horde est composée d’un bon nombre de participants associé à un symbole, et c’est ce symbole qui inaugure un bloc de texte où vous allez pénétrer dans les pensées du hordier en question.

Parce que oui, tout le roman est écrit à la première personne et chaque personnage est unique ! Ils ont tous et toutes un rôle très spécifique, en perdre un est un malheur, une chance en moins de survivre dans la quête poursuivie par la Horde. L’auteur a parfaitement su s’adapter pour dévoiler la personnalité, les tics de langages et l’histoire de chaque protagoniste. De ce fait, vous allez très vite vous défaire de ce marque-page – et si jamais vous ne l’avez pas, il y a un index au début pour vous repérer. Autre particularité géniale, celle d’avoir orchestré la pagination à l’envers, vous commencez donc votre récit de la page 701 à la page 1 située en fin de roman.

Pourquoi une idée aussi loufoque ? Tout simplement parce que la Horde du Contrevent doit remonter le vent depuis l’Extrême-Aval jusqu’à l’Extrême-Amont où le vent qui ne cesse jamais de souffler trouve son origine. La quête de nos compagnons est ardue, les péripéties nombreuses, rien n’est facile pour eux, le trajet est peuplé de rencontres aussi heureuses que malheureuses, de départs et de retrouvailles, de questions et de révélations, de paysages variés. C’est hyper dense, mais tellement riche que j’ai adoré découvrir chaque chapitre, chaque bloc de texte, chaque ligne. D’autant plus que l’histoire s’avère captivante jusqu’aux dernières lignes, poignantes quand on comprend enfin aux derniers mots l’ironie et la cruauté du récit qui n’aura épargné aucun personnage. Je n’ai pas eu le temps de m’ennuyer, il y avait toujours quelque chose de passionnant à lire.

La plume de l’auteur y est pour beaucoup – l’univers et les personnages arrivant juste après. Alain Damasio maîtrise la langue française avec beaucoup de brio. Il y a des jeux de mots, de longues tirades contemplatives et poétiques, des actions chorégraphiées avec élégance, des émotions variées qui piquent avec justesse l’égo. C’est une réelle fresque écrite avec de la dentelle, chaque mot n’est pas là par hasard. C’est riche d’enseignements et de figures de styles sans pour autant être complexe, tiré par les cheveux ou nébuleux. J’ai adoré les sujets évoqués durant cette quête. Cette longue expédition permet de juger et comprendre la singularité d’un individu, le lien incroyable unissant chaque membre de la horde. Sans oublier les questions liées à la mémoire, aux connaissances, à l’amour, à la famille, la survie, la perte. Tout s’agite, tourbillonne autour du thème central, l’Extrême-Amont, le vent et ses différentes formes, les divers vifs… Tout est toujours intéressant à découvrir, comprendre, décortiquer et l’on y trouve toujours une résonance en soi ou dans le roman.

L’univers est riche en informations. Toutefois, je n’ai pas subi d’indigestion, c’était très maîtrisé pour nous donner l’essentiel, le complexifier au fil de l’intrigue. J’ai aimé ce monde cinglé par différentes formes de vent, de voir la Horde qui remonte la terre à pied, les Fréoles qui usent de technologies… C’est un univers très différent du nôtre et pourtant, il existe pas mal de similitudes, d’éléments auxquels se raccrocher pour le rendre familier. Chaque idée exposée est expliquée, remise en question, prouvée ou infirmée, finalement, la Horde nous apprend des choses et l’on apprend également en même temps qu’eux. Je terminerai juste avec les personnages pour dire à quel point ils sont humains, inoubliables et percutants ! On les aime, on les déteste, on apprend à les apprécier, à les voir différemment, je me suis très vite attachée à eux et cette Horde est juste incroyable. Je pourrais passer des lignes à vous les présenter, mais ce récit est le leur, sans compter que l’histoire vous narre leur évolution physique et psychologique. Ce serait donc gâcher la découverte et les joies (et déplaisirs) du voyage. Pour me dédouaner, je vous citerai celles et ceux que j’ai aimé jusqu’au bout comme Caracole le troubadour, Sov le scribe, Pietro Della Rocca le prince, Oroshi l’aéromaître, Callirhoé la feuleuse (faiseuse de feu) ou encore Golgoth le traceur et Erg Machaon le combattant-protecteur, parce qu’ils sont inclassables et très atypiques.

Est-ce que ce roman est parfait ? Bien sûr que non. Certains le trouveront long et trop complexe, la Horde du Contrevent c’est un voyage qu’il faut accepter de faire, il y a des débats et des explications qu’il m’a fallu relire, des éléments à connecter pour tout appréhender. De plus, quelques protagonistes ou réactions pourront faire grincer des dents, je pense au seul écart de conduite de Sov avec une jeune Fréole – parce que Sov reste un scribe absolument génial. Je pense aussi à Golgoth – je l’adore, mais il est brut de pomme, jure comme un charretier et reste un impitoyable traceur. Le final ne plaira pas à tout le monde, c’est certain, personnellement je l’ai trouvé cruel et moqueur quand on voit tout ce chemin parcouru, cette souffrance. À mes yeux, ce roman est une pépite qui claque et je le relirais sans aucun doute possible comme je suis curieuse de découvrir les autres romans d’Alain Damasio.


> N'hésitez pas à découvrir mon avis concernant le premier tome de la BD <


> La plume d'Alain Damasio
> Caracole
> L'expérience de lecture



Messeigneurs de la Frime, bonsoir ! Puisque nous nous connaissons, pour beaucoup, laissez-moi écourter la chamarre et assourdir les violons ! Sur ce gradin en face de vous, rasés de frais, la mèche en vrille et la chemise en vrac, est placée tout à trac – en guenille pour les meilleurs, pour les autres en haillons – la poussière du désert, ou pour mieux dire : sa coagulation… Ils sont l’orage marcheur ! Ils sont la foudre lente ! Ils sont de l’horizon les vingt-trois éclats de verre, les copeaux bleus et les tessons – j'annonce et vous présente, hirondelles et damoiseaux, nobles éologues et porte-drapeaux, la légende de cette terre : la Horde du Contrevent !

Nous sommes faits de l'étoffe dont sont tissés les vents.

Crédits images :
* Unsplash (Alan Labisch, Matheo JBT, Bhaskar Agarwal) * Flaticon * Livraddict 

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6 comments

  1. Je suis très intriguée! Je ne connaissais pas ce roman, mais savoir qu'il a été un coup de cœur me donne envie d'en savoir un peu plus ^^

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    1. Il est vraiment atypique, je m'attendais à un dépaysement en ayant lu le premier tome de son adaptation BD, mais à lire c'était grandiose. Je te souhaite de le découvrir un de ces jours =)

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  2. Quelle chronique bien détaillée, j'étais déjà tentée, mais alors là, encore plussss :3

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    1. Merci beaucoup, ça me fait super plaisir, je te souhaite de pouvoir le découvrir =)

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  3. Aaaaaaaaah je suis super heureuse de voir que tu fais partie de la Team "coup de coeur" de La horde du Contrevent <3 ! C'a été une énorme lecture pour moi aussi, imparfaite parce que Damasio, c'est du lourd ... mais TELLEMENT atypique et magique !
    Je te conseille La zone du dehors du même auteur, si tu as envie de dystopie. Je l'ai préféré, c'est dire *.*

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    1. Ouh, si tu l'as préféré, c'est qu'il a l'air tout aussi top ^^ La zone du dehors me fait de l'oeil, je le prendrais très certainement :) C'est vrai que le roman est imparfait, on peut râler, lever les yeux au ciel, froncer les sourcils, c'est du lourd comme tu le dis ^^ Toutefois, c'était une telle expérience de lecture *.* Il a les défauts de ses qualités au fond =)

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