La maison aux mille étages (WEISS)

by - 19.2.23



La maison aux mille étages de Jan WEISS
Editions Hachette (Le Rayon Imaginaire) – 2022 – 256 pages – 20 €
Masse Critique Babelio
Littérature des années 30 | Science-Fiction | Dystopie | Société | Littérature tchèque
Avertissement : [contient des scènes de violences physiques et verbales, exploitation des vices, scènes avec de l’alcool et de la drogue, scènes rappelant les camps de concentration et d’extermination]


Une tour de mille étages où l’humanité est enfermée. Un homme s’y réveille, seul, amnésique, invisible, hanté par des images insoutenables de salles obscures, remplies de corps décharnés enchaînés les uns aux autres. Qui est-il ? Quelle est sa mission ? Une société reconstituée dans tous ses excès, sous la tyrannie arbitraire et sadique du mystérieux Muller : tel est ce cauchemar dystopique incroyablement visionnaire écrit en 1929, qui pointe, avec une acuité douloureuse, toutes les dérives à venir : le contrôle des hommes et des cerveaux par les écrans, le culte de la personnalité poussé à son extrême, le délire de la surconsommation, l’exploitation des vices et des obsessions… Le tout traversé par des scènes qui évoqueront douloureusement les abominations à venir : camp de concentration, chambres à gaz, utilisation massive des drogues, des bas instincts, de la violence et des femmes…


Les éditions Hachette ont développé une nouvelle collection dédiée à l’imaginaire avec des textes d’aujourd’hui et des textes plus anciens (comme le Frankenstein de Mary Shelley et celui-ci). Je remercie donc la maison d’édition ainsi que le site Babelio pour leur Masse Critique, parce que c’est une très belle découverte, il frôle le coup de cœur, mais le texte est incroyable, percutant, c’est clairement un roman qui sort du lot, soit on va apprécier l’expérience, soit c’est un grand non.

Ce qui m’a laissé pantoise, c’est le côté « anticipation », nous sommes dans un roman paru en 1929 et pourtant, le texte a des scènes qui font penser à la société de consommation ou à ce qui s’est passé en 39-45 dans les camps de concentration et d’extermination. Je sais que l’auteur a été détenu dans un camp de travail en Sibérie, qu’il y a contracté la fièvre typhoïde et qu’il aura subi de grosses hallucinations, mais certaines scènes, certains sujets et la manière dont ils sont abordés donnent comme un tapis déroulant les années 30 à aujourd’hui. C’est à la fois déroutant, curieux et terrifiant.

Le texte est au carrefour de la science-fiction et du surréalisme, un courant dont l’auteur se sentait très proche. Ce qui donne au récit une saveur très particulière, il y a toutes ces réflexions sur l’humain et la société qui permet de classer l’œuvre dans de l’anticipation et de la dystopie et par instant, il y a ces scènes de rêves et de cauchemars, ces enchaînements improbables, ce côté rocambolesque qui fait pencher la balance dans le surréalisme. Si personnellement, le mélange des deux rend le récit passionnant, je peux parfaitement comprendre qu’il déplaise.

J’ai beaucoup aimé suivre ce personnage invisible nommé Petr Brok qui se réveille amnésique et qui va devoir reconstituer son passé, comprendre son rôle et survivre dans cet enfer qu’est la maison aux mille étages. J’ai adoré lire ses aventures, j’aime aussi le fait qu’il soit l’un des rares personnages à être doté d’un grand sens de l’empathie, d’une humanité certaine, à contre-courant de tous les autres personnages rencontrés – ou presque, puisque la princesse Tamara et quelques révolutionnaires sortent du lot.

Clairement, le récit aborde tant de thématiques, s’aventure dans tant de questionnements que l’histoire est très agréable à suivre avec une intrigue très simple, mais elle permet de se concentrer davantage sur les thèmes exploités. Il y a les conditions de travail, la place des femmes et les violences qu’elles subissent, le culte de la personnalité, le fanatisme religieux, la surconsommation, l’exploitation des terres et de l’espace, le pouvoir et l’argent, les tueries de masses, les vices et les addictions en tout genre, cela va du plus absurde au plus inquiétant.

J’ai adoré découvrir le travail de l’auteur sur tous ces sujets, certes nous sommes dans un roman de 1929, il ne faudra pas s’attendre à un travail aussi poussé qu’un auteur contemporain, mais je salue la prouesse de l’époque, la plume est très chouette à lire et elle est clairement datée années 20-années 30 sans que cela soit pour autant indigeste. Franchement, les chapitres sont courts et addictifs, le résultat paraît aussi invraisemblable que réaliste, c’est un peu du vécu de l’auteur et de l’imaginaire, l’aspect esthétique est tout aussi soigné avec l’effet métallisé rosé sur la couverture ou les dessins / typographies des enseignes de magasin croisés. C’est sincèrement un livre audacieux pour son époque.

Ce n’est pas parfait non plus, comme je l’ai dit, il y a un aspect loufoque qui peut déplaire, un côté daté dans l’écriture qui peut refroidir, une intrigue très simple et des personnages qui peuvent paraître peu travaillés pour notre regard de contemporain – sans oublier la fin qui m’a amusé, c’est une fin en format « chute de nouvelle », avec un twist qui est typique de ces décennies. Donc oui, il y a des couacs et des légèretés, des incohérences, des thématiques présentes mais pas exploitées à 100 %, cependant, je salue la performance pour l’époque, les thèmes présents, l’aspect anticipation et le héros très attachant. J’ai passé un très bon moment avec !


Crédits images :
Livraddict * Flaticon * Canva * Unsplash




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6 comments

  1. Tu me donnes vraiment envie de lire ce livre !
    J'avais déjà vu passer la couverture et je la trouvais très jolie. Je ne savais pas du tout que le roman était aussi ancien par contre!!

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    1. Oh, cool, j'espère que tu auras l'occasion de le découvrir un de ces jours ! Effectivement, rien ne laisse présager que le texte est aussi ancien, c'était à peine expliqué en quatrième de couverture. Il faut lire les rabats si je me souviens bien ou alors c'était quelques pages en début de récit qui donnent du contexte. Donc je suppose que si l'on s'attend à un texte des années 2020 et que l'on se retrouve avec un texte de 100 ans avant, ce n'est pas la même manière d'écrire, de structurer un récit et de le finir, de construire des personnages, de travailler certaines thématiques... D'où les avis très partagés sur le sujet je suppose.

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  2. Tu m'avais déjà parlé de ce livre et j'attendais ta chronique dessus avec beaucoup de curiosité. C'est un roman que je ne connaissais pas du tout et tu me donnes envie de tenter l'expérience, merci pour la découverte ! En plus, j'ai beaucoup trop envie de connaître le twist final maintenant ^^

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    1. Merci pour ce retour, ça me fait ultra plaisir ^^ J'espère que tu auras l'occasion de le découvrir et de lire la fin =)

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  3. J'ai déjà vu ce livre en librairie mais je ne pensais pas du tout qu'il parlait de ça !
    Je ne suis pas certaine qu'il me plaise totalement mais quand même, il y a un petit côté prédictif avec ce qu'il se passe dans ce livre.

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    1. Je comprends totalement ce que tu ressens, sans être une priorité, peut-être que tu auras l'occasion de l'emprunter ou de le trouver en occasion =)

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